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Anne Terlez – L’Innovation vers la transition énergétique

Anne Terlez

Anne Terlez,   Photo Mairie de Louviers

Anne TERLEZ est Adjointe au Maire de Louviers, vice-présidente de l’Agglo Seine Eure en Normandie, en charge du développement durable, et présidente de l’Agence locale de l’énergie et du climat de l’Eure. Intéressée par les concepts de la COP21, elle s’est lancée avec détermination dans ce domaine innovant. Élue en mars 2014, elle intègre une équipe municipale qui marque un changement de majorité mais s’inscrit dans une continuité en terme de transition énergétique. Elle s’est plongée avec détermination dans ce premier mandat principal et intercommunal « à la fois difficile et passionnant ».

Interview réalisée par Karine Edowiza

INNOVATION VERS LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

  1. Vous êtes Adjointe au Maire de Louviers, Vice-Présidente de la Case en charge du développement durable, et présidente de l’Agence locale de l’énergie et du climat de l’Eure. Que vous a inspiré l’élan international et responsable de la Cop 21 ? 

La COP 21 m’inspire espérance et vigilance. La Conférence des parties a désormais 20 ans et chacun peut voir l’évolution de la communauté internationale sur les questions climatiques. Du doute voire la remise en question des enjeux à l’acceptation et la décision d’agir, il aura fallu une génération à nos gouvernants pour se saisir pleinement du sujet et se fixer des objectifs chiffrés. Espérance donc car l’accord est ambitieux à long terme : il a pour but de contenir le réchauffement « bien en dessous » des 2°C, de poursuivre les efforts pour ne pas dépasser les 1,5°C et traduit ce chiffre en termes opérationnels. Ce n’est une simple déclaration d’intentions. J’en veux pour preuve les conséquences (déjà amorcées mais accentuées par l’accord de Paris) dans le monde des finances. La chute importante des titres boursiers liés aux énergies fossiles et celle du coût des énergies renouvelables signent un changement profond de notre société. C’est une bonne nouvelle pour la planète. Vigilance cependant car l’accord n’est pas contraignant pour les états, même s’il prévoit une révision régulière à la hausse des engagements pris. Je reste néanmoins optimiste car je sais que la mise en œuvre de la transition énergétique est assurée par la société civile, citoyens, entreprises et collectivités locales. La transition énergétique se joue surtout à l’échelle de nos territoires. C’est la société civile qui a permis la prise de conscience des Etats sur les enjeux climatiques (et sur d’autres ) et c’est la société civile qui continuera d’exercer sur les gouvernants cette pression, au moins aussi efficacement que des règles contraignantes qu’on aurait de toutes les façons beaucoup de difficultés à mettre en œuvre…

  1. Dans votre dernier édito vous employez les mots de « …volonté de vivre, et d’inventer », vous inscrivez vous dans une dimension philosophique de la transition énergétique ? Pensez-vous que cette dimension peut participer à une prise de conscience collective plus efficace ?

Je veux m’inscrire dans une dimension « incarnée » de la transition énergétique, c’est-à-dire qui relie les enjeux du changement climatique à notre humanité. La beauté de nos paysages, la biodiversité, la qualité de nos eaux, etc n’ont de valeur qu’aux yeux de l’Homme, parce qu’elles servent, nourissent, équilibrent nos sociétés. La Terre est notre bien commun, celui qui nous fait vivre, et à ce titre, l’Homme lui doit respect et protection. Si cette conception des liens intimes qui unissent l’Homme et la Nature est une approche philosophique, alors, oui, je m’inscris dans cette dimension, et oui, je crois qu’elle participe de facto à une prise de conscience plus efficace. Mais je crois, finalement, qu’il ne peut pas en être autrement. Cette dimension est portée depuis très longtemps. Prenez, par exemple, la définition de Madame Gro Harlem Brundtland « Le développement durable est celui qui répond aux besoins du présent sans compromettre les capacités des générations futures à répondre aux leurs. » Cette définition fait appel à une dimension éthique et responsable. Elle a fondé le sommet de Rio en 1992 et fonde encore les actions des pays, des territoires, des communautés qui décident de s’engager dans la transition énergétique. Elle exprime clairement que l’Homme et son devenir est plus important que tout le reste, elle exprime clairement que la sphère économique, le développement des territoires ne valent que s’ils sont au service de l’Homme, de tout l’Homme et de tous les hommes.

  1. Vous avez insisté sur l’emploi « de nouvelles techniques, de nouvelles collaborations et participations citoyennes, et aussi de nouveaux modèles économiques ». Quelles mobilisations et quelles compétences sont à privilégier dans ce sens ? Quels sont les partenaires à choyer et comment stimuler davantage la volonté politique ?

La transition énergétique est un immense défi qui nécessite la mobilisation et la mise en synergie de tous les acteurs de la société. Il faut, bien sûr, favoriser l’émergence de nouvelles technologies, mais ce qui me frappe le plus, c’est que la transition énergétique nous conduit à un changement de paradigme, nous invite à un changement sociétal en profondeur. Ne pas compromettre les capacités des générations futures à subvenir à leurs besoins exige que nous changions nos habitudes de consommation, nos modes de relations, les postures des responsables politiques…  Je crois beaucoup à la mobilisation citoyenne. Je suis émerveillée par l’inventivité dont mes concitoyens font preuve dès lors qu’ils décident de prendre leur destin en main. Le financement participatif, par exemple, est un magnifique exemple de nouvelles collaborations. Il permet l’empowerment des habitants, une bonne acceptabilité des projets, et favorise des retombées économiques localement. Quant à la stimulation de la volonté politique, il faut trouver les « éléments de langage » susceptibles d’emporter l’adhésion. Ce qui fonctionne le mieux avec les élus, c’est de parler de sous. Il faut donc que l’on soit en capacité de chiffrer le coût de l’inaction ainsi que le retour sur investissement de nos actions

  1. Vous êtes notamment convaincue que « cest la production d’énergies renouvelables qui nous permettra de financer la rénovation des habitations et des bâtiments », les moyens financiers sont-ils un frein à contourner et comment ?

Comme vous le savez, les collectivités locales subissent depuis 2014 une baisse drastique des dotations de l’état. Les communes, les intercommunalités doivent exercer toujours plus de missions sans ressources supplémentaires. Or, pour amorcer la transition énergétique, il faut tenir deux objectifs essentiels : la baisse des consommations d’énergie et la production d’énergies renouvelables. La baisse des consommations passent par la rénovation du bâti (isolation, installation de systèmes de chauffage sobres et efficaces…). La rénovation des bâtiments publics et de l’habitat privé, la mobilisation des entreprises pour qu’elles trouvent des voies de coopération et de mutualisation qui leur permettraient des économies d’énergies supposent un subventionnement important, donc des enveloppes financières conséquentes. Certaines énergies renouvelables trouvent un modèle économique rentable rapidement. Plusieurs collectivités ou collectifs citoyens qui ont investi dans des parcs éoliens financent grâce aux bénéfices qu’ils perçoivent de l’ingénierie et des actions en faveurs de la rénovation. En réalité, les moyens financiers ne sont pas un frein. C’est surtout la volonté qui fait défaut. Il existe des structures juridiques qui permettent le partenariat public-privé, comme les sociétés d’économie mixte ; on a également des exemples de dispositifs financiers qui permettent de trouver l’argent nécessaire, comme en Allemagne avec la banque publique KFW.

INNOVATION DANS LA VILLE

  1. Vous avez signé la convention « Territoires à énergie positive pour la croissance verte », en 2015 au ministère du développement durable en présence de Ségolène Royale, quelles sont les initiatives de l’Agglomération à court , moyen et long terme mis en place (depuis 2007) ou qui le seront notamment inscrit dans l’Agenda 21 et en matière de biodiversité ?
  2. Quels sont les acquis de l’Agglomération Seine-Eure en faveur de la transition énergétique et avez vous des exemples concrets de collectivités à citer ?

L’agglomération Seine-Eure est engagée depuis de nombreuses années dans la mise en œuvre d’actions en faveur d’un développement soutenable de notre territoire. En témoignent les nombreux labels dont bénéficie la collectivité : territoire équitable, Cit’ergie, ruban du développement durable. En 2007, elle décide de se doter d’un Agenda 21. Deux années de travail et de concertation sont nécessaires pour construire avec les habitants du territoire et les différents acteurs associatifs et économiques les objectifs à atteindre. L’agglo Seine-Eure décide de relever 4 grands défis :

  • Etre une agglo soucieuse des équilibres planétaires : la Terre est notre bien commun et nous voulons prendre notre part de responsabilité
  • Etre une agglo de partage et de solidarité : nous affirmons le principe de destination universelle des biens
  • Etre une agglo dont l’économie attractive parie sur les circuits courts : c’est un des éléments essentiels du changement de paradigme. Développer les circuits courts, c’est être moins dépendant des énergies fossiles.
  • Etre une agglo qui se construit avec les forces vives du territoire : la démocratie locale est au cours du processus. Associer nos concitoyens est la seule manière de les faire monter en conscience et en responsabilité. Notre agenda 21 est plus que jamais d’actualité. Il est un document fondamental et la pierre angulaire des politiques publiques durables et a créé une réelle dynamique qui a permis de doter notre collectivité d’une véritable culture commune. La question écologique a ceci de particulier et de passionnant qu’elle est transversale et qu’elle nécessite la mise en synergie de chacun des acteurs. Les services de notre collectivité travaillent désormais bon nombre de sujet en transversalité pour plus de cohérence, d’efficacité et la mise en œuvre de nos objectifs durables.

Deux autres documents stratégiques viennent renforcer et décliner plus précisément deux thématiques de notre Agenda 21 :

  • Parce qu’un des biens que nous avons en partage est la forêt, qu’elle est une formidable richesse et qu’elle structure durablement notre territoire, nous avons décidé de nous doter d’une Charte Forestière qui planifie la promotion du bois construction, la dynamisation de la gestion forestière privée, le bois énergie et l’amélioration de l’accueil du public en forêt domaniale
  • Parce que notre ambition pour notre Territoire est qu’il devienne résilient, nous avons voté un Plan Climat- Energie Territorial (PCET).

Concrètement, on peut citer plusieurs réalisations majeures :

  • Les transports en commun (très développés pour une agglomération de cette taille) dont une ligne de bus à haut niveau de service (BHNS) qui verra le jour d’ici quelques années
  • Le site des Hauts-Prés qui vise la protection de la ressource en eau et, pour ce faire, le développement d’un pôle d’agriculture biologique
  • Le financement d’un espace info énergie et de la Maison de la Rénovation (que j’aurai l’honneur d’inaugurer le 1er avril) pour accompagner les particuliers dans leur projet de rénovation
  • La coopération décentralisée avec la ville de Bohicon sur les compétences qui sont les nôtres : en matière d’eau, d’assainissement, de développement économique et d’emploi, nous accompagnons cette commune du Bénin par l’ingénierie et le cofinancement de ses projets (adductions d’eau villageoise, micro-crédits aux groupements de femmes, projet du bassin déversant du Zou)
  • La mise à disposition d’ingénierie (un poste de conseiller en énergie partagée) et des financements pour accompagner les communes du territoire dans leurs efforts pour économiser l’énergie (rénovation des bâtiments publics, rénovation de l’éclairage public, chaufferies, formation des agents communaux aux éco-gestes…)
  • Un plan ambitieux de réduction des déchets : distribution de composteurs, opération « adopte une poule », ateliers de sensibilisation des habitants

Des projets ambitieux :

  • Un schéma directeur des Energies Renouvelables en cours d’élaboration nous permettra de connaître d’ici l’été les gisements potentiels de notre territoire et d’établir un programme opérationnel pour atteindre nos objectifs en matière de production d’énergies. Territoire à énergie positive ne doit pas être un vain mot
  • Un groupe de travail qui réunit les entreprises de notre territoire pour développer des projets d’économie circulaire. La collectivité a embauché un agent spécialiste de ces questions pour renforcer le service développement économie. Les acteurs économiques de notre territoire sont très intéressés par cette démarche et très impliqués dans la réflexion.

INNOVATION DE LA CITOYENNETÉ

  1. Vous vous êtes présentée sans étiquette, même si votre appartenance au MoDem est connue. Dans votre dernier édito vous parler « d’inventer de nouvelles collaborations et participations citoyennes, qu’entendez-vous par là »?

Il me semble qu’en France, aujourd’hui, si nous vivons bien en république, nous ne sommes plus en démocratie. Oh, bien sûr, il subsiste toujours une démocratie représentative de par les élections. Mais le fossé qui s’est creusé entre les citoyens et les élites politiques témoigne d’une crise majeure de notre démocratie. Les affaires judiciaires politico-financières, le cumul des mandats, l’absence de renouvellement de la classe politique, etc ont jeté, et pour cause, le discrédit sur l’action publique. Force est de constater qu’entre deux élections, il n’existe presque jamais cette possibilité de dialogue continu entre les décideurs et les citoyens, cet espace de tension nécessaire pour que la démocratie vive, pas seulement de manière représentative mais aussi de manière participative. L’absence de cet espace, cette défiance à l’égard des élus alimente les extrêmes, renforce l’abstention et la désertion par les habitants des espaces publics.

Il est urgent de travailler à faire vivre notre démocratie, et les élus locaux ont un rôle important à jouer. Nous devons tout faire pour associer nos concitoyens à la décision publique. C’est ce que le Maire de Louviers et moi essayons de faire. Nous continuons le porte à porte, nous avons, avec radio Espace, mis en place Actu@Louviers pour répondre aux questions des lovériens, nous avons mandaté l’association BAM pour la concertation citoyenne sur le projet « cœur de ville »…

Pour rétablir cette articulation entre république et démocratie, nous agissons selon deux principes :

  • le principe de subsidiarité : la société civile a un rôle prépondérant à jouer. Les pouvoirs publics ne détiennent que 50% des solutions, les citoyens les 50 autres.
  • le principe de co-construction : les élus n’ont pas la science infuse. Nous devons risquer nos projets à la rencontre des habitants, prendre en considération leurs attentes et leurs remarques. Par principe, nous considérons que ce que dit ou croit l’Autre est digne d’intérêt.
  1. Avez-vous des exemples à nous citer ? Des associations ou collectif citoyens à l’échelle locale, nationale ou international qui sont des exemples à suivre et qui ont marqué par leurs actions positives ?

Les incroyables comestibles, les monnaies locales portées par des associations, les collectifs de citoyens qui décident de s’engager dans la production d’énergie renouvelable, Habitat et Humanisme, ATD-Quart Monde, les mouvements d’éducation populaire…

INNOVATION DE L’ENGAGEMENT AU FÉMININ

  1. Pourriez-vous revenir un peu sur votre parcours et que diriez-vous aux jeunes citoyennes qui hésitent parfois à se lancer en politique ou s’investir en tant que citoyenne ?

J’ai eu la chance de bénéficier d’une véritable éducation à la citoyenneté. J’ai toujours voulu participer à la construction d’un monde plus juste et plus fraternel. J’ai appris beaucoup grâce à l’engagement associatif, notamment au sein d’un mouvement d’éducation populaire et d’une fédération de parents d’élèves. Les responsabilités que j’y ai prises et les actions que j’ai menées m’ont permis de comprendre que l’action politique pouvait être une expression noble du service du bien commun. J’ai adhéré à l’UDF en 1999, en grande partie parce que j’adhérais à sa charte de valeurs et que la construction européenne m’enthousiasmait. J’ai suivi François Bayrou au MoDem tout naturellement en 2007 car il a toujours défendu la moralisation de la vie politique, une certaine idée de l’Europe et la volonté pour notre famille politique de rester indépendante. En 1999, je n’avais pour but que de participer à la réflexion, au débat et me former. J’ai appris le militantisme de base, j’ai forgé mes opinions, j’ai parfois été dubitative, déçue ou en désaccord mais je n’ai jamais regretté ma décision de m’encarter ni mon appartenance à cette famille. La campagne municipale de 2014 à Louviers a été pour moi une formidable aventure humaine. L’exercice de ce premier mandat municipal et intercommunal est à la fois difficile et passionnant.

Aux jeunes citoyennes qui envisagent de s’engager, je voudrais dire qu’elles sont plus que les bienvenues. Se risquer à la rencontre des autres est passionnant. Donner (de son temps, de son énergie…), c’est bien souvent recevoir au centuple. A celles qui voudraient s’engager en politique plus spécifiquement, je dirai qu’il s’agit d’un engagement difficile, exigeant, que le microcosme dans lequel on doit évoluer est dur et souvent malveillant. Il n’y a, selon moi, qu’une seule bonne raison de s’engager en politique, c’est le service de l’intérêt général. Et il y deux conditions sine qua non pour faire durer cet engagement, c’est bénéficier d’une solide formation à la relecture et au discernement et bénéficier d’un soutien (amical, familial, conjugal…).

  1. En France, les femmes ont aussi été à l’origine de loi innovante pour la République, pensez-vous au regard de votre propre parcours que le fait d’être une femme vous place d’emblée dans une recherche innovatrice de fait ? 

Je ne sais pas… Je crois que les femmes ont une approche, une manière d’appréhender les sujets et de les traiter différentes des hommes. Elles font preuve d’opiniâtreté, de davantage d’empathie, d’agilité… Elles sont nécessaires à la vie politique et je regrette que nous ne soyons pas plus nombreuses…

  1. Un Mot pour la fin, une citation ou quelque chose à ajouter que vous trouvez essentiel.

Une citation qui guide mon action :

« La démocratie est l’organisation politique et sociale qui tend à développer au maximum la conscience et la responsabilité de chacun, dans la mesure de ses capacités et de ses forces, en lui permettant de prendre une part effective à la direction des affaires communes .» Marc Sangnier

 

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