Le 10 septembre, dans le cadre du Forum Agen 2021 « EAU ENERGIES TERRITOIRES » Jean-François Berthoumieu présentera une conférence « L’eau de pluie, à la rescousse du changement climatique”. Climatologue, acteur de terrain et observateur pointu des évolutions climatiques, il partage avec nous ses convictions sur les solutions à mettre en place.
Bonjour Jean-François, vous êtes climatologue au sein de la structure ACMG qui est l’Association Climatologique de la Moyenne-Garonne et du Sud-Ouest. Vous êtes un des fondateurs et le président de Cluster Eau & Climat et vous intervenez dans le Forum Agen 2021 EAU ENERGIES TERRITOIRES du 10 septembre sur le thème : « L’eau de pluie à la rescousse du réchauffement climatique ». De votre ancrage agenais, que retenez vous de l’évolution climatologique actuelle ?
L’évolution climatologique factuelle du territoire agenais montre que la température progresse de 0.5°C tous les dix ans depuis le milieu des années 80. Il pleut autant et même en moyenne un peu plus, mais 50% de la pluie annuelle tombe sur seulement 10% des jours de pluie. Si, durant ces quelques jours les sols sont à saturation, une grande partie de l’eau de pluie ruisselle, érode les sols et n’a pas le temps de se stocker localement dans les sous-sols et les nappes. Seuls des lacs, s’ils ne sont pas déjà pleins, ou par exemple, des citernes sous les toits des maisons peuvent récupérer et stocker facilement ces flux. Les zones humides sont insuffisantes pour stocker cette richesse qui ferait tant de bien en été durant les canicules de plus en plus fréquentes. Nous avons aujourd’hui plus de 50 journées à plus de 30°C contre 15 dans les années 80 !
A quelle intention précise correspondait la création du cluster « Eau et Climat » et comment se manifeste son activité ?
Notre ambition est de préparer notre région à subir des poussées chaudes de sud et faire en sorte qu’elle soit la plus résiliente possible tant du point de vue du confort des populations, des activités économiques et de l’environnement. Nous pensons que l’eau, donc l’eau de pluie, est notre ressource durable à utiliser pour rafraîchir. Nous voulons favoriser l’évapotranspiration des végétaux, alimentés par cette eau que nous aurons réussi à stocker, économiser et gérer, de manière à climatiser naturellement les espaces publics des villes et, à plus grande échelle, les zones habitées et économiques.
Ce développement des services et des solutions d’adaptation à ce climat qui se dérègle doit permettre la création d’entreprises et des activités innovantes qui s’appuieront sur le tissu de recherche et d’expertise des membres du cluster.
Le Cluster Eau & Climat est une caisse de résonance pour informer, illustrer et promouvoir ces solutions durables d’adaptation.
Quel lien faites-vous entre l’eau et l’énergie ? Faut-il de votre point de vue associer les deux thématiques et si oui pourquoi ?
Le thème du Forum EAU ENERGIES TERRITOIRES nous oblige à préciser ce lien eau/énergie qui n’a pas été pris en compte par note cluster. Cependant je trouve que l’eau de pluie, par sa variabilité spatiale et temporelle, pose, comme pour l’énergie verte, la question de son stockage, de son transport, de son économie et de sa gestion. Comme pour l’énergie solaire ou éolienne et même nucléaire, les besoins ne sont pas en phase avec la disponibilité ou la production. Les lampadaires solaires nécessitent des batteries sophistiquées d’une durée de vie de plus de 10 ans pour être acceptées par le marché. De même, les besoins en eau des populations, des animaux et des végétaux sont en décalage avec les moments où il pleut. Or nous nous sommes habitués à utiliser et prélever cette eau lors de son cheminement plus ou moins naturel de retour vers les océans. Nous devons imaginer des solutions de stockage local et durable pour l’eau de pluie comme cela est imaginé pour l’énergie solaire et éolienne qui est de nature variable en fonction des saisons, des nuages, du climat…
Par conséquent, oui, il est intéressant de les associer pour créer des ponts de pensées entre ces deux mondes et peut-être imaginer des solutions par analogies qui aideront à informer, relativiser et avancer.
Pourquoi pensez-vous que l’eau de pluie peut venir à la rescousse du réchauffement climatique ? Quels sont les enjeux autour de cette forme de récupération ?
La poche de chaleur qui s’est abattue sur la Colombie Britannique au Canada fin juin est venue du Mexique et n’a pas pu se rafraichir car sur sa trajectoire elle a traversé des zones arides et qui subissent un déficit de pluie très important notamment en Californie. Comme pour nous, si l’Espagne est sèche, le flux chaud venant d’Afrique du Nord n’a pas la possibilité de se rafraichir car même sur la mer Méditerranée, l’eau ne peut pas s’y évaporer. Pour cela il faut des végétaux qui évapotranspirent et donc des végétaux qui comme dans les oasis, peuvent trouver suffisamment d’eau dans les sols.
Or, lors d’une poussée chaude, il n’y a pas de pluie possible, sauf à la fin, lorsque des orages se forment mais c’est trop tard. Il faut donc pouvoir assurer aux arbres et au maximum de surfaces de végétation active la possibilité d’évapotranspirer. Pour cela il faut l’équivalent de ce qu’ils trouvent autour de leurs racines soit entre 40 à 60 m3 d’eau par hectare afin de pouvoir transformer 50% de l’énergie solaire incidente en frigories ( la frigorie est la quantité de chaleur nécessaire pour abaisser de 1°C la température de 1 gramme d’eau de 14,5 à 15,5°C sous la pression atmosphérique normale). et ainsi réduire l’amplitude de la progression journalière de température.
Dans une zone sèche, cette progression entre le mini du matin et la maxi de l’après-midi peut atteindre 24 à 26°C. Quand il y a de l’eau facilement disponible pour les plantes cela ne progresse que de 18 à 21°C, soit 4 à 6°C de moins !
Comme pour l’énergie du soleil de la journée qui sert à éclairer la nuit, nous devons nous organiser pour que l’eau de pluie qui tombe amplement durant quelques journées de l’année puisse être distribuée en abondance les jours de canicule. Et nous savons qu’il ne faudra plus penser à la prélever simplement dans les rivières ou fleuves dont les débits, en été, vont diminuer ni dans des nappes profondes qui ne se rechargent pas aussi vite que les prélèvements.
Que dit le climatologue au bout de 40 ans de pratique de son métier ? Quels sont selon vous les niveaux d’alerte ? Les besoins de prise de conscience ? Les actions impérieuses à mettre en place face à une évolution silencieuse du réchauffement climatique ?
Quand il fait presque 50°C sur l’Ouest du Canada où je n’ai pas voulu continuer à vivre car les hivers étaient trop froids et trop longs en 1980/81, je me dis que les scénarii catastrophes de certains auteurs scientifiques et romanciers ne vont pas être à la hauteur de ce que, de manière aléatoire, des zones de la planète vont subir, car il y a de plus en plus d’énergie disponible pour des phénomènes convectifs puissants (orages).
Et là nous n’avons pas de vaccin mais nous connaissons la solution : réduire drastiquement notre consommation d’énergies fossiles qu’il faut remplacer par des énergies durables qui ne produisent pas de gaz à effet de serre.
Il faut aussi séquestrer du carbone dans les sols ce qui en améliorera ses propriétés pour absorber davantage de pluie lors des épisodes de pluies intenses et réduire l’érosion. De la recherche appliquée dans ces domaines et des choix locaux pour devenir plus indépendants au niveau de l’eau et de l’énergie doit être encouragée avec de la communication pour informer et répondre aux craintes et peurs. Mais oui j’ai peur des excès du climat et surtout de la montée des eaux provoquée par la fonte des glaciers qui s’accélère.
Il y a 40 ans tout le monde ricanait quand je rapportais le risque d’augmentation de 1°C que mes collègues chercheurs canadiens m’avaient appris. Aujourd’hui j’insiste sur ne pas prendre à la légère ce risque de montée des eaux et d’événements climatiques extrêmes plus fréquents. Nous devons mettre en place des solutions à bas coût, de bons sens et faciles à maintenir pour ralentir les écoulements d’eau de pluie en retour vers les océans et ainsi espérer tenir encore 30 à 50 ans, le temps que des solutions d’énergie bas carbone soient largement utilisées sur la planète. C’est un challenge que notre Cluster Eau & Climat prend avec sérieux et optimisme.
Interview réalisée par Marianne Rolot le 01/07/2021