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Christine Bordet Delaporte, conseillère conjugale et familiale

« Accueillir une personne, éclairer mal être et besoins dans sa vie affective, ça revient à « Tenir conseil ».
J’aime cette expression, « Tenir conseil » !»

Voix fluette mais très assurée, une présence classique et bienveillante, Christine Bordet Delaporte, chemise bleu marine ornée de montgolfière et gilet bleu ciel, est à elle seule un flux continu de paroles. Pas besoin d’appuyer sur le bouton. Les mots jaillissent en flots réguliers longuement mûris. Chacun est à sa place. On peut imaginer que dans ce bureau un peu sombre installé au sous sol de la maison du Département de Val de Reuil, accessoirisé de papillons pour gagner en chaleur, Christine s’est forgée des avis sur la vie. Depuis 5 ans, elle est conseillère conjugale et familiale à la Maison du Département de L’Eure à Val de Reuil. Un métier peu connu et pourtant fort utile. Retour sur le parcours singulier de cette femme dont l’avis a valeur d’expertise dans un domaine où la confidentialité est une règle absolue.

Chistine Bordet Delaporte, conseillère

Christine Bordet Delaporte est conseillère conjugale et familiale, une activité peu connue « où il faut avoir de l’expérience » et auquel elle s’est donc formée après 40 ans. (Photo Marianne Rolot)

Comment êtes vous arrivée à ce métier ?

J’étais curieuse de savoir comment on devient conseillère conjugale et familiale et comment avec ce métier très engageant on gère ses convictions. J’avais été active dans la vie associative et locale. Puis à 45 ans, j’ai fait un bilan de compétences avec Pôle Emploi. J’en avais marre d’être bénévole. J’avais envie de trouver un métier où on voit des gens, on travaille en équipe, d’avoir un travail engagé et de servir à quelque chose. Je me suis dit : « tu n’est plus une gamine, est-ce que ça peut être un atout d’avoir un peu d’âge ?». On n’est pas conseillère conjugale à 25 ans. Il faut avoir de l’expérience pour aborder tout plein de questions.

Quelle formation avez-vous suivi ?

Une formation qui a duré trois ans. J’avais baigné dans l’associatif. J’avais eu 5 enfants et je m’étais éloignée du marché de l’emploi. Il fallait bien ça. La formation est très intéressante. On étudie la psychanalyse, physiologie, anatomie, droit… Les questions de la vie comme celle du désir d’enfant, de la maladie, du deuil, de la solitude, de la séparation, la recomposition familiale, l’héritage familial… On approche des auteurs, des chercheurs. On voit ce que ça nous fait à nous, on prend conscience de nos représentations personnelles. Il y a beaucoup de travail sur les émotions. Quand je rencontre une personne, je ne propose pas de recettes, je cherche à lui faire prendre du recul. Cette formation est passionnante.

Trois ans d’études, à 45 ans, il faut s’accrocher !

Trois ans de formation, ça n’est pas trop pour travailler toutes les notions. Ça exige beaucoup de travail sur soi. S’ajoutent des stages dans les réseaux, beaucoup de lectures, des travaux de groupe, mises en situation et des jeux de rôle.

Mon mémoire a porté sur la place singulière de l’homme (géniteur – amant – conjoint ou partenaire) dans l’IVG (interruption volontaire de grossesse). C’est une formation par les pairs (d’autres professionnels).

La formation Couples et Familles

Christine a été formée par la Fédération «Couples et Familles à Paris ». Couples et Familles existe depuis 60 ans. ll y a des antennes à Toulouse, Lyon, Lille, Nantes… D’autres formations existent, celle-ci est sans appartenance religieuse ni politique.

Comment agit-on avec ses propres croyances ?

Je m’efforce de ne pas projeter mes propres convictions et croyances. A l’évidence, si je les plaque sur la personne que je rencontre, je ne l’aide pas, je la manipule.

Parlez-moi de votre métier.

Ce qui me plaît dans l’exercice de ma profession, c’est qu’il y a plein de facettes différentes. Le public est vraiment varié. On est au croisement de l’aide sociale, de l’éducation et de la santé.  Accueillir une personne pour éclairer un mal être dans le domaine de la vie affective, ça revient à «tenir conseil». J’aime cette expression. On tient conseil.

De quoi souffrent les personnes qui viennent vous voir ?

C’est ce que j’essaie de savoir. De quoi ont-ils besoin ? J’essaie de parler, questionner, reformuler sur ce qui arrive à ce couple. Comme personne extérieure, je peux aider à sortir de la haine ou d’un cercle vicieux, redonner l’énergie pour communiquer que ce soit pour continuer à vivre ensemble ou se séparer.

Pourquoi vous rendez vous en milieu scolaire ?

Chistine Bordet Delaporte, conseillèreLa violence « sexualisée » dans les cours d’école ou de collèges, ce n’est pas rien ! Je travaille beaucoup sur les discriminations. On constate qu’en sixième, il y a déjà bien ancré des stéréotypes hommes femmes. Autrefois, c’était dans les rôles et les métiers. Aujourd’hui, c’est déjà dans les relations garçon-fille. Les établissements appellent : »Est-ce que vous pouvez faire quelque chose ?» On travaille avec les infirmières des établissements scolaires. On rencontre des demi-classes. On agit par petite touche. On présente le centre de planification. On explique que c’est gratuit, confidentiel, pour aider les jeunes. On parle de couple, d’identification, d’orientation sexuelle, de la vie amoureuse. On fait réfléchir à qu’est ce que se mettre en couple, comment respecter le oui et le non de l’autre? Comment prendre soin de sa santé aussi.

Entre la sixième et la seconde, comment les jeunes évoluent-ils ?

En sixième, on parle plus de la puberté. En troisième, seconde, on parle des relations interpersonnelles, affectives, de l’alcool, d’addiction, comment les relations peuvent être affectées . La plupart des collèges font appel à une conseillère du centre de planification en 4ème ou en 3ème et certains lycées pour les 2des..Parfois,  on peut être appelées ponctuellement.

Que pensent les professeurs de vos interventions ?

Il y a des infirmières ou des profs de SVT (sciences et vie de la terre) qui nous disent: «On peut faire ce boulot là».

Nous on dit que c’est bien que chacun reste à sa place. Un prof, ne peut pas faire réfléchir de la même façon les jeunes. Pour moi c’est important que ce soit quelqu’un d’extérieur,  de neutre qui intervienne. Les infirmières courent, sont toujours à la bourre. Certaines sont aussi sous pression avec leur établissement. Nous sommes extérieures au système scolaire et c’est mieux pour parler d’intimité.

Que racontez-vous aux jeunes ?

Je dis aux jeunes qu’il n’y a pas de mauvaise question, que c’est bien d’être curieux, et qu’on en ne parlera pas avec leurs profs. Quand on parle du centre de planification, on leur dit, si vous voulez vous préparer à avoir des rapports sexuels, vous pouvez venir au centre, vous pourrez repartir avec votre boite de pilule, un implant posé ou le stérilet. Ici à la Maison départementale de Val de Reuil, il y a une sage femme. A l’hôpital de Louviers, c’est un gynécologue qui assure la consultation médicale.

Et les parents, comment réagissent-ils ?

Chistine Bordet Delaporte, conseillèreUn jour, dans un lycée j’ai eu une levée de bouclier des parents. J’aurais voulu les rencontrer. Les parents doivent savoir qu’ils ne peuvent pas à eux seuls protéger leur enfant. Il y a la société ! J’ai rencontré une maman musulmane qui m’a confié qu’elle ne voulait pas que ses enfants reçoivent une éducation sexuelle en dehors de la maison, mais c’est difficile et la plupart des parents ne le font pas.Certains pensent que  je pousse les jeunes à se dépraver. Ce n’est pas ça. De nos jours, tout est accessible avec internet. Les jeunes tapent le mot «sexe» sur leur téléphone et ils peuvent avoir accès à des films pornos qui montre une sexualité qui n’est pas adaptée à leur âge. Je ne veux pas faire peur aux gens mais je leur dit qu’il vaut mieux qu’ils parlent avec des professionnels.

Comment ça se passe quand un jeune vient vous voir ?

A 95% ce sont des filles. Je les accueille. Je leur explique et après ça elles voient l’aspect médical avec le médecin ou la sage femme. Ici, toutes les semaines, je reçois des jeunes. Pour un test de grossesse ou une contraception d’urgence; et surtout, pour  écouter leurs angoisses et leur stress.

On peut aussi aller voir un médecin de ville. Beaucoup ont peur de parler à leur famille même si on constate que souvent les mères veulent aider.

Quand on rencontre une classe, les jeunes peuvent à la fin venir nous voir pour parler de leurs inquiétudes, mais c’est dans un cadre collectif. On leur propose de revenir au centre de planification.  A la fin des séances, ils expriment que c’était gênant au début mais que ça les a intéressés alors qu’ils croyaient tout savoir…

Que dites-vous aux jeunes filles ?

Aux jeunes filles qui viennent nous voir je leur dit « vous devez savoir un minimum de choses ». Elles n’ont pas de mots pour parler de leur anatomie. Il faut savoir un certain nombre de choses, nommer les organes quand on va voir un médecin, si vous voulez faire un dépistage ou si vous avez pris des risques. N’imaginez pas que c’est votre partenaire qui sait tout et va vous apprendre, c’est plutôt à vous de le guider. Lui, il se connaît lui.

Est-ce qu’elles viennent seules ?

La plupart viennent avec leur copain des copines ou parfois avec leur mère. Je leur dit : «Ce n’est pas parce que ta maman ne veut pas que tu prennes la pilule que toi tu ne peux pas te protéger.» Je les félicite : «C’est bien d’être venue, d’oser en parler.»

Je suis aussi quelques jeunes qui s’interrogent sur leur orientation sexuelle.

Et les garçons ?

Les garçons sont très libres et pensent le plus souvent qu’ils sont prêts, les filles ont  intégré qu’il faut qu’elles protègent leur réputation elles doivent être sérieuses ou sages. Certaines se disent on verra ça plus tard. Le fait de ne pas se connaître, les rend à mon avis, plus vulnérables.

Quelle est votre approche auprès des jeunes filles enceintes ?

Certaines jeunes filles lorsqu’elles découvrent qu’elles sont enceintes, décident de garder leur grossesse. Nous discutons de ce que cela va changer dans leur vie, dans leur relation amoureuse et sur qui elles vont pouvoir s’appuyer quand il y aura des moments difficiles… Parfois je les revois plusieurs fois ou je les oriente sur la PMI. C’est aussi une période où pourrait émerger la violence conjugale, parce que c’est le moment où chacun repense à ce qu’il a vécu dans son enfance; et cela génère parfois de la panique ou de l’angoisse.

Suivez-vous d’autres publics ?

Je suis aussi des jeunes adultes à la Mission locale de Val de Reuil et de Louviers ou à l’Epide (école de la deuxième chance située à Val de Reuil). Je leur demande s’ils ont des questions, je provoque l’échange. C’est intéressant. Ils sont moins dans la provoc qu’en 4ème, plus dans la curiosité. Ils savent peu de choses sur leur corps et celui de leur partenaire. J’interviens aussi à l’Institut Médico Educatif du Moulin vert ou aux Pilotis. Je rencontre des adolescents porteurs de handicap, il y a souvent encore moins de transmission parents enfants.

Vous n’avez pas le temps de vous ennuyer dans votre métier !

Le public auquel je m’adresse est très varié. C’est génial pour moi.

Quand changes de public, je change de discours. Je fais ça un tiers de mon temps, 1/3 à l’hôpital autour de l’IVG, et de la planification et 1/3 pour des entretiens de conseil conjugal.

A l’hôpital sur la question de l’IVG, on rencontre toutes les couches sociales entre 13 et 47 ans.  Toutes les situations de vie.

Parlez-moi de l’IVG

Chistine Bordet Delaporte, conseillère

A Louviers, le territoire a de la chance d’avoir une pratique ancienne en matière d’IVG.

On propose systématiquement à toutes les femmes un entretien de conseil conjugal. La loi a retiré cette obligation sauf pour les mineurs. Et les femmes à partir de 18 ans n’y ont plus droit, sauf à Louviers, toutes les femmes passent dans nos bureaux ou celui de ma collègue  (Marie Josèphe Hue). Toutes les femmes ont un temps d’éclairage, elles peuvent déposer ce qui est de l’ordre de la décision, de la justification, ou simplement des émotions qui les traversent.

Bien évidemment, on ne discute pas leur choix; Une femme qui veut une interruption de grossesse elle va vite. Et puis il y a tout ce qu’elle vit derrière. «J’ai pris ma décision mais c’est douloureux» ou «Je suis en colère, je me sens coupable.»  Il y a donc quelque chose de bon à ralentir l’expression des émotions. Personne ne s’occupe du ressenti. La plupart des femmes en ont gros sur la patate. Si on ne leur parle que médical, elles peuvent ne pas piper mot sur ce qu’elles ressentent et c’est rarement hyper facile. Je ne juge pas. Je m’aperçois que la femme a besoin d’être entendue dans ce qu’elle vit. Ce n’est pas qu’une question médicale.

Comment s’organise ce moment ?

Sur 4 ou 5 personnes, une est accompagnée. Je prends du temps avec la femme seule; je lui dit que la loi m’oblige à vérifier «que c’est vous qui avez pris la décision». Si l’avis de votre partenaire n’est pas le même, c’est votre décision qui compte»

Puis je rencontre le monsieur et je lui dis : «Merci d’être là Monsieur, qu’est ce que ça vous fait à vous ?» Les hommes aussi ont besoin de parler, c’est parfois douloureux, compliqué pour eux. Je leur demande : «Est-ce que ça va changer vos relations à tous les deux ?» Parfois, dix ans plus tard le couple décide de se séparer parce que le non-dit s’est accumulé, alors que si vous en parlez sur le moment, ça va faire partie de votre histoire dans le cadre d’une décision pleinement choisie.

Donc vous vous adressez aussi bien à Madame qu’à Monsieur.

Au cours de mon mémoire qui portait sur la place des hommes dans l’IVG, pas mal de conjoints m’ont dit : « Vous êtes la première qui m’adressez la parole !». Parfois je les écoute séparément si je vois que le dialogue n’est pas possible. Il faut apporter de la sérénité et du cadre et rappeler que la loi c’est comme ça. Une femme qui est enceinte elle a des émotions qui sont décuplées, qui viennent à fleur de peau. Du coup ça lui fait ressentir des émotions qu’elles n’avaient pas expérimentées.

Notre gynéco dit que ça change tout pour lui d’intervenir après un entretien, « si je sens que la femme hésite ou souffre, je ne peux pas interrompre sa grossesse… Il faut que ce soit clair.

De temps en temps, je leur dis, « Faites vous confiance, c’est la décision que vous prenez pour vous aujourd’hui et c’est ça qui compte ».

Des frustrations ?

Ce qui me met très en colère c’est le cas de cette adolescente. Elle est très jeune pour devenir maman. Elle a un petit copain. C’est la mère du petit copain qui a poussé à l’intervention et elle n’a pas eu d’entretien avec un professionnel. Deux mois après, elle est à nouveau enceinte. Si je l’avais vue, je luis aurais dit «La mère de votre copain, ce n’est pas elle qui décide !» On rencontre toutes sortes de femmes. C’est tout à fait  respectable de vouloir comme de ne pas vouloir une IVG.

Autrefois on disait, un bébé je me débrouillerais toujours… Aujourd’hui c’est autre chose, les parents ils veulent pouvoir assurer dignement l’éducation de leur enfant. Ils ne veulent pas qu’il puisse souffrir de leurs galères. La précarité est souvent évoquée.

Que pensez-vous de la loi Veil ?

La loi Veil elle est très juste. Elle prescrit que toutes les femmes ont droit à un entretien. C’est un moyen pour elles de sortir de leur solitude. C’est toujours dur d’affronter ces situations. L’hôpital est assez pressé, les femmes sont souvent perdues, très angoissées. Ça bouge la personne, ça oblige à considérer leurs émotions: la culpabilité, la douleur. Beaucoup de femmes disent «j’ai toujours assumé mais là je suis fatiguée, je n’en peux plus.» Ce sont des femmes qui ne s’écoutent pas, qui veulent être parfaites, ne s’autorisent pas à avoir des limites.

Comment faire pour vous consulter ?

Chistine Bordet Delaporte, conseillèreLe conseil conjugal sert à mettre sur la table les problèmes qui minent le couple ou toute une famille. Se séparer ? Un texto ne suffit pas pour se quitter. Il y a quelque chose à comprendre. Parfois le deuil d’une situation n’a pas été fait et ça vaut le coup de se faire accompagner pour y voir plus clair. Le nombre de fois où je rencontre des couples qui ne se sont pas parlés ou qui ne s’écoutent plus. Il fallait juste qu’ils trouvent leurs mots. Changer les perspectives, prendre du recul, ce n’est pas une psychothérapie, c’est gratuit et confidentiel. Et ça peut se faire même sur un autre territoire. J’ai été consultée par les membres d’une crèche familiale. Les nounous sont parfois désarmées. Elles ont toutes des histoires de conflits conjugaux. Les parents racontent leurs disputes à côté des bébés. Je leur suggère de dire «Ce n’est pas le lieu pour qu’on en parle. Vous devriez allez voir un pro, quant à moi je serai là pour votre enfant».

En quoi ce métier vous comble-t-il ?

On a des rencontres extraordinaires. Des gamins qui ont eu des vies pas faciles et tu vois qu’ils ont la pêche, la vitalité. Il y a des situations qui m’éblouissent. Une force de vie incroyable. Parfois les personnes retrouvent de la fierté de l’estime de soi. De temps en temps, on a l’impression de faire de la magie.

Entretien réalisé par Marianne Rolot,  texte revisé par Christine Bordet Delaporte

A savoir.

Christine fait des interventions en milieu scolaire. Elle voit 1500 jeunes par an lors de séances d’information collectives. Surtout les 4ème, 3ème et seconde, et depuis cette année, des classes de 6ème. Certains collèges choisissent de démarrer l’information dès le début de la puberté

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