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Eric Lardeur, le syndicaliste venu à la politique

En décembre prochain, Eric Lardeur, syndicaliste ayant participé activement à la réouverture du site papetier d’Alizay sera candidat aux élections régionales sur les listes conduites par Nicolas Mayer-Rossignol.

François Charmot : Eric Lardeur, vous êtes originaire du Pas-de-Calais. Dans quelles circonstances êtes-vous arrivé en Normandie, et dans l’Eure ?

Eric Lardeur : Originaire du Pas-de-Calais, j’ai fait des études d’ingénieur en papeterie à… Grenoble. Puis après un an d’armée à Aix-en-Provence, j’ai cherché du travail. Ce n’était pas comme maintenant. J’ai envoyé trois lettres, j’ai obtenu trois entretiens, dont Alicel à l’époque, la papeterie d’Alizay, qui avait l’avantage pour moi de démarrer sa nouvelle machine. J’ai choisi Alicel…

F.C. Pourquoi l’industrie papetière ? C’est un goût particulier pour le papier ?

E.L. Non. Au départ, je voulais faire de la chimie. Puis ça s’est fait comme
ça…

F.C. Quand on évoque le Pas-de-Calais, on pense aux mines. Alors pourquoi pas les mines ?

E.L. Non, non, pas les mines. Elles étaient en déclin, la plupart étaient déjà fermées. C’est l’automobile qui s’installait dans le Pas-de-Calais. Je n’étais pas intéressé.

F.C. Donc vous arrivez à Alicel. C’était en quelle année ?

E.L En 1990, 750 à 800 personnes y travaillaient et on lançait le projet de la nouvelle machine à papier. Quand je suis arrivé c’était encore un champ. La machine a démarré un an et demi plus tard… Moi je travaillais sur la partie pâte à papier, j’étais ingénieur de production. Et quelques années après, j’étais responsable de la fabrication de la pâte à papier.

F.C. Vous avez un engagement syndical à la CGC-CFE. C’est arrivé comment ? Dès le début ?

E.L. Non quelques années après, dans les années 98-99. Je trouvais que le syndicalisme à Alicel était orienté uniquement vers les ouvriers, alors que les cadres avaient aussi des problèmes et des revendications. Il y avait une section CGC, mais qui se battait plus pour les agents de maîtrise que pour les cadres. Dans les années 2003-2004 je suis devenu délégué syndical.

F.C. Au fil des ans l’entreprise changera plusieurs fois de nom. Il y a eu un déclin qui a abouti à la fermeture, comment cela s’est-il passé ?

E.L. L’entreprise a été rachetée, peu après le démarrage de la machine à papier, par le groupe suédois Modo, qui l’a fait fonctionner correctement jusqu’en 2000 et l’a revendue au groupe finlandais M’Real. Modo c’était une gestion d’entreprise à l’ancienne, mais après eux, ce sont des financiers qui sont arrivés. Il fallait qu’il y ait des bénéfices ; M’Real a commencé à supprimer du monde. 150 à 200 personnes sont d’abord parties sans qu’il n’y ait le moindre plan social. Puis M’Real a trouvé qu’il y avait encore trop de monde. Alors on a fait un premier plan social, en 2006. Une centaine de personnes. Ils ont mis de l’argent et ça s’est transformé en plan de départ à la retraite anticipée, à 53 ans, avec l’intégralité du salaire. Il y avait plus de gens qui voulaient partir que rester ! On a soudé une équipe et créé l’intersyndicale avec la CGT, et on a commencé à prendre des contacts avec le préfet, les élus, les pouvoirs publics.

F.C. Et pourquoi cette politique de M’Real ? Ils voulaient se désengager de l’industrie papetière ?

E.L. L’usine était chère. Surtout à cause du prix du bois. Je pense qu’ils voulaient fermer depuis longtemps. Il n’y a pas eu d’investissement dans l’usine sauf sur la machine à papier, qui est la plus grosse d’Europe, et sur laquelle on gagne de l’argent. M’Real, leader dans le carton et se battant avec de grands groupes sur le papier souhaitait se recentrer sur le carton. A Alizay, on a eu le tort d’être dans la mauvaise filière, au mauvais moment ! On a été l’avant-dernière usine du groupe à fermer, en 2009.

F.C. Ils annoncent la fermeture de l’usine, mais refusent de la revendre à un concurrent ?

E.L. En 2009, ils ferment l’usine de pâte à papier avec un plan de licenciement : de 412 on finit à 320. Nous, on dit que, sans l’usine de pâte, la machine à papier ne peut pas fonctionner. En 2011, M’Real annonce que la machine à papier perd de l’argent, et on arrive à la fermeture totale du site.

F.C. Il y a eu un combat exemplaire, tous syndicats confondus ?

E.L. Il y avait deux syndicats, la CGT plus forte en effectifs et nous. Avec des collèges différents et deux syndicats, c’était plus facile de s’entendre ; et chacun avait sa spécialité : droit du travail, contacts et relations extérieures, leader charismatique. On a construit un collectif de maintien de l’emploi avec le maire d’Alizay, les partis de gauche, les élus locaux, mais on a toujours mis les syndicats devant. On a obtenu un rendez-vous avec Alain Le Vern, le président de la Région, on est arrivé à rencontrer Bruno Le Maire, alors ministre…

F.C. Comment est venue l’idée de la reprise temporaire du site par le département ?

E.L. M’Real annonce la fermeture du site et annonce qu’il va chercher un repreneur. Nous on n’y croit pas. On avait fait des propositions, des choses a peu près étayées. M’Real fait semblant de chercher, mais c’est l’Agence française pour les investissements internationaux qui trouve Double A, un groupe thaïlandais, qui se montre intéressé. M’Real refuse et claque la porte. De là, ça fâche très fort les Thaïlandais, qui perdent la face. De ce jour, M’real et Double A refusent de se parler. M’Real veut fermer et on finit par accepter la fermeture, mais sous conditions. M’Real accepte finalement que les syndicats cherchent un repreneur mais annonce et écrit les conditions de la reprise. C’est à ce moment-là que Jean-Louis Destans (alors président du Conseil Général) arrive et vient nous voir. Il commence à penser à se «  mettre au milieu » entre les deux groupes, et envisage le portage, même s’il y a des difficultés juridiques… Il ira en Finlande avec le préfet pour négocier et mettre la pression. Le rachat-vente se fera le même jour, mais dans des pièces différentes, les deux groupes refusant toujours de se parler…

F.C. L’usine est repartie avec quel effectif ?

E.L. On a démarré à 152, et là on est 180. Et on parle d’une vingtaine d’embauches en septembre-octobre. On devrait rapidement passer en 5 x 8 sur 365 jours, ça veut dire deux équipes supplémentaires. Et si l’on rajoute la sous-traitance, pour les services de maintenance par exemple, ce sont 150 personnes supplémentaires qui travaillent tous les jours chez Double A.

F.C. Double A possède d’autres usines ?

E.L. Double A a d’autres grosses usines en Thaïlande. Nous on travaille pour l’Europe, l’Afrique et on commence à livrer les Etats-Unis. Double A c’est une bonne équipe de division 2 qui a décidé de monter en 1ère division. Double A est très connu dans l’Asie du sud-est, et veut se développer ailleurs. Ici nous sommes une tête de pont. On a l’avantage d’être à côté de Rouen et de son port…

F.C. La pâte à papier arrive à Rouen par bateau ?

E.L. A Rouen, au Havre, à La Rochelle, sous forme de grandes feuilles de carton. On la met dans l’eau avec un agitateur, on rajoute quelques produits pour que les fibres se collent.

F.C. L’avenir c’est quand même de refaire la pâte à papier sur le site ?

E.L. Voilà. Pour arriver à pérenniser le site, il faut redémarrer l’usine de pâte à papier, et la centrale bio-énergétique qui fait de l’électricité verte qui sera vendue à EDF ; ça pérennisera le site sur une quinzaine d’années. Et pour ramener le bois de Thailande (on parle de 700 à 800 000 tonnes d’eucalyptus) on utilisera la plateforme multimodale, le port d’Alizay, qui sera opérationnel en 2016. Nous, on devrait démarrer courant 2017 ; il y a des installations à racheter et il faut douze à quinze mois pour les mettre à niveau.

F.C. Votre travail au sein de l’usine consiste en quoi ?

E.L. Je suis responsable qualité-sécurité-environnement et en charge du projet de redémarrage de l’usine de pâte à papier (NDLR : depuis notre entretien, le Préfet a donné son feu vert à ce projet) je suis en charge aussi du développement de l’usine. Un des développements potentiels c’est de trouver des partenaires pour l’économie circulaire (eau, station d’épuration, électricité, vapeur, copeaux de bois…).

F.C. Vous êtes aussi engagé en politique. Est-ce un aboutissement logique de votre engagement syndical ? Et comment s’est faite votre arrivée au parti socialiste ?

E.L. J’ai toujours trouvé du bon dans les idées socialistes. J’ai passé le pas. Ce qui m’a plu dans tous nos combats, c’est que je me suis aperçu que les hommes politiques pouvaient faire bouger les choses, contrairement à ce que je pensais. Mais ce n’est pas la même échelle de temps. Le politique travaille à trois à quatre ans. Dans l’entreprise, quand ça commence à aller mal et qu’on annonce une fermeture, trois mois après c’est fermé. Je voudrais réconcilier le temps du politique et celui de l’entreprise…

F.C. Vous êtes un peu l’Edouard Martin de la Normandie ?

E.L. Un peu. Sauf que moi je ne suis pas tête de liste aux élections européennes (rires).

F.C. Oui mais vous êtes candidat aux régionales sur la liste de Nicolas Mayer-Rossignol. Vous apportez quoi à l’équipe ?

E.L. Ma connaissance du monde du travail et de l’entreprise. Nicolas Mayer-Rossignol a organisé plusieurs groupes de travail sur des sujets divers et variés. Je fais partie du groupe relations avec les syndicats, pour essayer d’échanger sur ce que les syndicats attendent d’une Région afin de répondre du mieux possible à ces attentes au niveau du programme.

F.C. Depuis que vous êtes engagé en politique, ça se passe comment avec les autres syndicats ? Ils vous taquinent ?

E.L. Oui oui, ils me taquinent. Il faut le prendre à la rigolade. Être socialiste en ce moment… Il faut savoir courber l’échine. C’est sûr que pour les syndicats les socialistes n’ont pas vraiment la cote ; les lois Macron par exemple, je ne suis pas d’accord. La réforme des prud’hommes, c’est organiser le licenciement abusif des délégués syndicaux. Après, moi, je suis dans une autre idée. Pour moi la gauche c’est le partage, la culture, alors que la droite c’est l’inverse. Il faut essayer d’agir dans le bon sens et continuer le combat pour essayer de faire avancer les choses. Quand je vois que la droite a supprimé le contrat 276 (*)  ou la subvention à Emmaüs on voit bien la différence entre la droite et la gauche. Je n’ai pas d’état d’âme, même si je me fais charrier par les copains. Les relations sont plus compliquées avec le parti communiste qu’avec les syndicats…

F.C. Depuis quelques semaines vous êtes secrétaire de la section de Louviers. Comment se prépare la reconquête de la mairie ?

E.L. Pour moi, l’ère Martin est terminée. Il faut imaginer quelque chose de différent. Pour la section de Louviers il y a une opportunité. Il y a quelque chose à préparer entre les radicaux et les socialistes. Il faut trouver le bon candidat pour 2020 et commencer à travailler ensemble. Mais ça c’est 2020. Le chantier actuel, c’est de montrer qu’il y a un parti socialiste à Louviers. Il faut que les socialistes soient présents sur Louviers, il faut arriver à reconstruire, ressouder le groupe, avoir des échanges avec la population en créant des événements. Il faut aussi être plus présent sur les conflits sociaux…

(*) Consortium qui visait à financer de nombreux investissements via les deux conseils généraux – Eure et Seine-Maritime – et le conseil régional de Haute-Normandie. (MariannEurope)

Entretien réalisé par François Charmot dans sa boutique
« D’un pavé à l’autre », 19 rue Tatin à Louviers.

Toute la collection de livres d’Exbrayat  !

Eric Lardeur, qui vient de fêter ses 50 ans, est un amateur de BD. Les classiques bien sûr (Astérix, Tintin…) ou plus modernes (XIII, Largo Winch, Le 3e Testament, Thorgal…) avec une préférence pour le médiéval, le fantastic, le fantasy.

«  Je collectionne aussi les BD des années 60 et les Pieds Nickelés », ajoute-t-il. Mais ce lecteur de romans policiers (Agatha Christie, Simenon…) possède maintenant une série complète. Tous les titres d’Exbrayat, un auteur dont il goûte particulièrement le style et l’humour un rien british. C’est d’ailleurs à la boutique qu’il a trouvé avec bonheur «  Cet imbécile de Ludovic », le dernier titre qu’il lui manquait. «  Un livre édité aussi sous le titre Cet imbécile de Rimoldi. Mais c’est la même histoire », commente ce spécialiste.

Ses origines ch’ti font d’Eric Lardeur un supporter inconditionnel du RC Lens, qu’il a vu avec regret descendre en Ligue 2 à la fin de la saison dernière. «  Ce club porte toute l’identité d’une région », affirme celui qui, paradoxalement, ne pratique pas et aime citer Churchill, «  No Sport ! »

Enfin, autre forme de loisirs, Eric Lardeur collectionne «  tout ce qui se rapporte à la bière. » II possède, par exemple, 5 500 sous-bocks différents.

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