La commune de Val de Reuil est secouée par une décision de fermeture d’un de ses collèges qui suscite une grande mobilisation, dans quel état d’esprit êtes-vous en tant que Maire de cette commune ?
Je fais mon devoir. Je cherche à protéger les intérêts des habitants, des parents et, surtout, des enfants qui seraient les premières victimes d’une éventuelle fermeture, à préserver les capacités éducatives de la commune qui, n’ayant pas tant d’autres atouts, a précisément fait de leur développement un objectif premier, à ramener chacun à la raison, notamment au Conseil Départemental dans la majorité duquel, à défaut d’enseignants ou de pédagogues, on discerne peu de «spécialistes» de la pédagogie ou de l’enseignement.
Val-de-Reuil ne peut être la seule ville de plus de 10.000 habitants dans l’Eure à n’avoir qu’un collège alors qu’elle compte le meilleur lycée du territoire, a ouvert dix nouvelles classes en dix ans et a construit 500 logements au cours des cinq dernières années avant d’en construire 500 autres d’ici 2020. Seine-Eure ne peut être le seul endroit de France où se reprend la sinistre habitude d’ouvrir des collèges à 700 élèves, voire plus, dont on sait qu’ils sont le paradis des décrocheurs, des violents, des recalés.
On mesure, dans cette action, que le rôle du Département, avec cette décision, est fondamental. Cet échelon institutionnel était pourtant promis, il y a quelques années, à une disparition progressive. Comment analysez-vous le rôle de cette instance et sa légitimité démocratique ? Que peuvent faire les élus du canton au Département ?
Les élus de notre canton, notamment Jean-Jacques Coquelet qui est intervenu avec courage, à maintes reprises, face à ses collègues conservateurs, sont dans la minorité politique de cette assemblée. La vision qui paraît primer actuellement, est donc qu’ils n’ont pas voix au chapitre même s’ils représentent le territoire et les habitants directement impactés par la décision contestée. Je trouve cela dommage pour l’intelligence du débat et la démocratie. Il est certain que si le conseil départemental venait à disparaître dans deux ou trois ans, comme l’a évoqué le nouveau Président de la République, il serait regrettable qu’il se soit aventuré à prendre, avec autant de légèreté, avec autant d’amateurisme, une décision grosse de conséquences pour les vingt ou trente prochaines années.
A titre personnel, j’ai été frappé, en visionnant les débats (je vous invite à faire de même), par une tribune où chacun, tous des hommes, tripote sans relâche son smartphone ou mâche son chewing-gum, où nul n’écoute et ne parait s’intéresser aux questions traitées, mais aussi par la virulence et l’outrance, le manque de pertinence et la vacuité de certains propos, qui auraient eu davantage leur place au comptoir d’un bistrot que dans un hémicycle. La politique, singulièrement la politique éducative, donc l’avenir des plus petits, vaut mieux que le café du commerce. Un mandat se mérite. Il faut travailler et réfléchir pour en être digne.
Cela peut interroger sur le profil des élus locaux, mais aussi nationaux, en général. Qui trouve-t-on aujourd’hui pour assumer ces fonctions passionnantes mais chronophages, mal vues et énergétivores ? Des professionnels, des apparatchiks, des retraités, des rentiers ? En tout cas, peu de gens engagés dans la vie active et ayant des enfants en âge d’aller au collège.
Quel rôle peut jouer dans cette situation une agglomération comme L’Agglo Seine Eure ? A-t-elle des pouvoirs en la matière ? Son avis est-il pris en compte ? Le Conseil de Développement Durable peut-il jouer de son influence ?
L’agglomération a un rôle technique en matière de transports scolaires. Elle vient de le rappeler en refusant de jeter sur les routes, dès l’aube et jusqu’à la nuit, des centaines d’enfants, privés d’activités après les classes, obligés de rester la journée entière loin de leur famille, partant – tous – pour la première heure de celui qui commence le plus tôt, revenant – tous – après la dernière de celui qui finit le plus tard. Outre ce rythme harassant à l’origine de fatigues et de mauvais résultats, mes collègues de Seine-Eure ont souligné que multiplier les cars, là où va se nouer le nœud autoroutier de l’A13, de l’A28 et de l’A154, n’était pas très prudent sans parler des émissions de gaz à effets de serre qu’un secrétaire d’Etat à la transition écologique, naguère président du Conseil Départemental de l’Eure, ne pourrait que condamner. Mais les élus de Seine-Eure ont aussi un rôle politique. Quand 37 maires de Gauche, de Centre ou de Droite, quelle que soit leur obédience, disent non à un projet idiot, cela devrait être entendu.
La décision de fermeture du collège PMF était dans l’air depuis une dizaine d’années. Comment une décision de cette nature se prépare-t-elle ? Et avec quels critères ? L’administration est-elle supérieure aux besoins des usagers dans les chantiers de conduite du changement ?
Jean-Louis Destans avait finalement considéré qu’il fallait réhabiliter l’établissement. Jean-Michel Blanquer, alors directeur général de l’enseignement scolaire, avait proposé d’y adjoindre un internat d’excellence. Sébastien Lecornu en inaugurant la salle informatique de PMF avait assuré que le collège n’était pas menacé. Il me semble donc que cette décision ne s’est faite que sur des bases étroitement comptables, avec précipitation et dans une profonde méconnaissance du terrain. L’élu désigné pour porter ce dossier pensait que, entre Val-de-Reuil et Louviers ou Pont-de-l’Arche, un car mettait dix minutes… ! Il ne connaissait pas davantage les mécanismes des réseaux d’éducation prioritaire. On pourrait multiplier les exemples de ce que, connu de tous, il découvrait.
Plusieurs communes sont concernées par une redistribution de la carte scolaire, avec des croisements d’affectation, un développement de l’accueil des autres collèges… créant de fait un big bazar. Comment expliquez-vous la volonté qui préside à ce changement ? Est-elle politique ? Sociétale ? Sécuritaire ?
Elle est politique. On a prétendu que PMF était un collège de type Pailleron. Il suffit de le voir pour comprendre qu’il est fait du plus solide des bétons. On a dit qu’il était amianté. Puis on a affirmé que seule de la colle contenant de l’amiante avait été décelée et encore seulement dans certains sols. On a certifié que le bâtiment était sur le point de s’écrouler et, pourtant, la commission de sécurité l’a régulièrement déclaré bon pour le service. On a prétendu que le fermer favoriserait la mixité sociale pour s’apercevoir tardivement qu’il n’en était rien et, au contraire, qu’on allait casser un réseau REP+. Bref on a beaucoup menti.
Très prosaïquement, je dirais qu’on ferme deux collèges dans les deux cantons les plus pauvres du département, qui sont ceux qui votent le plus à Gauche et qui sont les moins électoralement stratégiques pour la majorité à géométrie variable qui, tant bien que mal et plutôt mal que bien, pilote à vue le département. S’ajoute à cette dimension, le combat larvé qui oppose depuis toujours Bernard Leroy, le centriste, tourné vers Rouen, aux élus LR d’Evreux ou de Vernon. Pour faire bonne mesure, Macronistes et droite traditionnelle sont en train de se défier dans la perspective des prochaines élections municipales, cantonales, régionales. Ils se lancent pour gagner ou garder des électeurs dans une surenchère ultralibérale à la diminution des services publics. Nous prenons une balle perdue de ces rivalités de bas étage.
Les pertes concrètes liées à la fermeture du collège Pierre Mendès France de Val de Reuil ont-elles été mesurées ? Il y a-t-ils en revanche des gains potentiels ?
De gains, je n’en vois aucun. Des pertes, on en voit de multiples. C’est mauvais pour l’attractivité de la zone qui a le plus fort développement de l’Eure et qui va donc, en termes de croissance et d’emplois, en payer les pots cassés. C’est mauvais pour la rénovation urbaine de Val-de-Reuil puisque cela crée une friche de plus dans une commune qui n’en manquait pas. C’est mauvais pour les 200 nouveaux élèves qui arriveront d’ici 2020 et que ce projet absurde (qui ne réfléchit que dans l’instant et encore !) oublie. C’est mauvais pour le département qui mène une politique de Gribouille. Ou plutôt celle du sapeur Camembert qui pour évacuer la terre d’un trou faisait un autre trou.
La solution de cette question selon vous est-elle politique et si oui cela passe-t-il par une implication des partis politiques ou seulement par la mobilisation des citoyens, et selon vous est-ce suffisant ?
Les citoyens sont les premiers concernés. Ils devraient être les premiers consultés. Ils sont donc les premiers impliqués. Les Partis Politiques, on les voit s’agiter comme des tortues retournées sur le dos. Sans efficacité. Mon collègue René Dufour a eu les mots qu’il fallait en disant à ses collègues de droite : « si on n’arrête pas cette décision stupide, on va tous y passer ». Ce n’est pas faux. Il y a en profondeur un ressentiment des milieux enseignants, des braves gens, des associations familiales et la volonté de faire payer à Pascal Lehongre ainsi qu’à la majorité du moment son absence de lucidité et de mettre en jeu leur responsabilité puisqu’ils s’en sont pris à des enfants. Rappelez-vous l’évangile que je cite peu : « malheur à ceux qui choquent les petits enfants », ce qui traduit dans le respect de la laïcité pourrait être : « une société se juge au sort qu’elle réserve à ses enfants ».
On note depuis plusieurs années une tendance des organisations à maintenir leur décision en dépit des frondes quitte à faire le dos rond. D’un autre côté, la mobilisation des citoyens est une action qui exige énormément de conviction. Cette forme de résistance institutionnelle pour éviter la concertation est-elle selon vous souhaitable parfois, recevable selon les circonstances, ou à abolir ? Et dans ce dernier cas, quel devrait être alors le processus de concertation ?
Un livre que Jean-Paul Sartre avait écrit (avec Philippe Gavi et Louis Victor) en 1970 était dans la bibliothèque de mes parents. Il parlait du Chili, de LIP *, des OS (ndAcme : ouvriers spécialisés). Il portait un titre qui, enfant, me fascinait : « on a raison de se révolter ». C’est ma réponse.
- Note Acme : Lip était une usine de montres de Besançon. A la fin des années soixante, du fait de la concurrence des montres électroniques bon marché, l’usine Lip est cédée à une entreprise suisse Ebauches SA qui décide de restructurer l’entreprise et de procéder à une vague de licenciements. Lorsque les ouvriers l’apprennent ils se mettent en grève en 1973, occupent l’usine, détournent le stock de montres qu’ils écoulent dans le cadre de ventes sauvages, et se mettent à relancer la production. Cette lutte hautement symbolique, en même temps que celle du Larzac, a pris une dimension nationale du fait de son caractère inédit et exemplaire (« on fabrique, on vend, on se paie »). Note rédigée par Alain Goguey, journaliste retraité.
Réponses formulées par écrit aux questions posées par Marianne Rolot, Agence Conseil Marianne Europe pour ITW MariannEurope, mises en ligne le 16/11/17.