Opérateur aux Laboratoires Janssen-Cilag, ce Congolais estime avoir eu beaucoup de chance de venir en France. Il n’a cependant pas oublié l’Afrique. « Que puis-je faire pour aider les autres ? » s’est-il un jour interrogé. Ainsi est née l’association Mayi Yetu, qui œuvre pour le développement du village de Bambouaka, au Togo.
François Charmot : « Vous êtes originaire du Congo Kinshasa, l’ex Congo belge. En quelle année et dans quelles circonstances êtes-vous arrivé en France ? »
Michel Kalonji : « Je suis arrivé en 1974 en suivant mon père, à Sucy-en-Brie, ou j’ai fait toute ma scolarité. Mon père était diplomate…»
F. C : « … A l’ambassade du Congo en France ? »
M. K : « Non pas en France, il a été nommé après ; il travaillait dans l’informatique et ensuite, quand il a fait de la politique, il a été nommé diplomate en Allemagne, où on a vécu pendant un certain temps, jusqu’à notre retour en France, en 1987. »
F. C. Depuis 87 vous vivez en France, et depuis quand sur la région de Louviers-Val-de-Reuil ?
M. K. « Depuis 1991. A l’ouverture de Janssen à Val-de-Reuil, j’ai postulé. »
F. C. La Normandie est une région qui vous plaît ?
M. K.« J’aime son calme, les petits villages et leur beauté. Venant de Paris, on apprécie la tranquillité. Pour les enfants, la verdure, les rivières et les lacs, c’est très agréable.»
F. C. On vous connaît pour avoir monté une l’association Mayi Yetu pour aider l’Afrique
M. K. «J’ai créé l’association il y a quatre ans, sur la problématique de l’eau et tout spécialement sa purification. Au départ je pensais à des machines, mais ça coûtait cher tant en installation qu’en fonctionnement, alors on s’est tourné vers des méthodes plus naturelles, avec des plantes.»
F. C. Vous avez ciblé une région ou un pays particulier ?
M. K.« J’ai ciblé des régions où de très jeunes filles se lèvent à 4-5 heures du matin pour aller chercher l’eau au puits ou à la rivière; puis elles vont chercher du bois pour faire bouillir l’eau afin de la stériliser. Et tout ça avant l’école, qui commence à 7 heures du matin. Pour celles qui vont à l’école, car les garçons sont privilégiés pour les études, les filles étant souvent cantonnées aux corvées ménagères. Le but de l’association est d’aider ces jeunes filles.»
F. C. Actuellement vous intervenez sur quel pays ?
M. K. « Le Togo et le village de Bambouaka, un village très étalé, de 5 à 6000 habitants. C’est un jeune, François Yendar-Kombate, que je connaissais par des amis, qui m’a invité à venir voir sur place. Je suis alors parti en repérage, j’ai parlé avec le chef du village, qui a réuni les notables, je leur ai parlé de cette plante qui purifiait l’eau. Je suis tombé sur un livre du Dr Folkard, un Anglais, qui a fait des études au Malawi, en 1992, sur le moringa ; en poussant les recherches, j’ai vu que cette plante avait donné lieu à des publications de l’Université de Lausanne. Originaire d’Inde, elle poussait aussi en Afrique mais on connaissait ici seulement ses vertus de complément alimentaire, avec les jeunes feuilles qui se consomment comme des épinards »
F. C. Quelle partie de la plante sert à purifier l’eau ?
M. K. « Les graines ; l’arbre pousse très vite ; ceux que l’on a plantés il y a deux ans ont déjà trois quatre mètres. On a séparé le champ en deux ; d’un côté on récolte les jeunes pousses qui servent de complément alimentaire, et de l’autre, les graines, une vingtaine dans chaque gousse, qui ressemblent à de gros haricots. Les graines se présentent comme des petites noisettes ; une fois décortiquées, on les écrase en poudre et on les mélange avec l’eau ; par décantation, elles agissent un peu comme le sulfate d’alumine.»
F. C. Vous continuez à aller sur place ?
M. K. « Régulièrement, car il est important d’assurer un suivi, et notre travail n’est pas terminé. La culture du moringa peut rapporter au village . Nous voulons confier la poursuite de notre projet à une association de femmes qui gérera toutes les étapes du semi à la récolte et à la transformation des feuilles de moringa jusqu’à la vente des produits sur le marché. Cette autonomie sera inculquée aussi par les maîtres du village aux enfants scolarisés. C’est une des raisons qui nous a poussé à construire une école en brique, et à faire parvenir des petites fournitures scolaires. Dans l’association, nous avons aussi une opticienne, ce qui nous a permis de récupérer des lunettes, et d’appareiller une cinquantaine de déficients visuels.»
F. C. Pourquoi avoir choisi le Togo pour mener vos actions, et pas le Congo, votre pays d’origine ?
M. K . « L’Afrique a d’énormes besoins. Ayant eu la chance de pouvoir venir en France, j’ai voulu rendre cette chance, et me suis dit « que pouvais-je faire pour aider les autres ? » Bien sûr, ça aurait pu être au Congo, un pays auquel je reste très attaché, et où vit toujours ma sœur. Mais ça aurait pu poser des problèmes. C’est plus sain de travailler avec un autre pays que mon pays d’origine…»
Entretien réalisé par François Charmot dans sa boutique
« D’un pavé à l’autre », 19 rue Tatin à Louviers.
Michel Kalonji l’avoue sans peine : Il n’est pas un grand lecteur. « Ah si, rectifie-t-il, il y a un sujet qui m’intéresse et me passionne : l’aviation. J’ai essayé de piloter, mais j’ai arrêté, car c’est trop onéreux. Mais j’aime tout ce qui vole… »
L’air et l’eau ! Michel est aussi un grand adepte de la plongée sous-marine. Mais sa vraie nature le pousse à l’aventure et la découverte. « J’adore les voyages. L’envie d’aller et de connaître les autres. C’est plus compliqué avec les enfants, mais avec mon épouse on recherche l’authentique, loin des grands hôtels et des itinéraires balisés… »
Ayant relu « Tintin au Congo » Michel Kalonji n’a pas aimé la vision « un peu colonialiste » que ce fils d’opposant à Mobutu (son père avait même projeté un coup d’Etat contre le dictateur en 1978) n’avait pas perçue à la première lecture, lorsqu’il était enfant. Une forme de racisme que Michel a souvent cotoyé en France, jusque dans le milieu du travail. Avec par exemple des propositions d’emploi qui s’envolent au dernier moment, sans autre forme d’explication, et bien que vous ayez réussi avec brio les tests de sélection.
Cet été, les vacances ne seront pas très… exotiques. « En Ardèche, sur les bords du Rhône, au pays de ma femme. » Mais Michel nourrit toujours un rêve entêtant : « Prendre l’avion pour Kinshasa en famille et faire en 4 x 4 les 1 000 km qui nous conduiront jusque chez ma sœur… » Ainsi les enfants découvriront eux aussi un autre monde. Celui de leurs aïeux.