Roger Ben Aïm est fondateur de l’Institut de la Filtration et des Techniques séparatives. Le 10 septembre à Agen, il propose la conférence « Pour une gestion durable de l’eau en milieu urbain » dans le cadre du Forum Agen 2021 EAU ENERGIES TERRITOIRES.
Bonjour Roger, vous êtes référencé sur le catalogue ACME 50 en tant que conférencier pour une intervention sur la gestion durable de l’eau. C’est sur ce thème que vous participez au Forum Agen 2021 EAU ENERGIES TERRITOIRES co-organisé par Best & Boost et l’Institut de la Filtration et des Techniques séparatives à Agen. Pouvez-vous nous faire part de votre background ?
Je suis un professeur d’université aujourd’hui retraité mais toujours actif en tant que conseiller scientifique à l’IFTS. Professeur dès 1972 à l’Université des sciences et Techniques du Languedoc, j’ai participé à la création de la filière des sciences et techniques de l’eau, à la formation des premiers ingénieurs de cette filière et au développement du Laboratoire de Génie Chimique appliqué au traitement et à l’épuration des eaux. Mon activité de recherche était alors orientée vers les séparations liquide solide qui occupent une place très importante dans les filières de production d’eau potable ou d’épuration des eaux usées : une eau potable doit être claire c’est-à-dire débarrassée le mieux possible des particules en suspension, une eau usée doit être suffisamment claire pour être rejetée dans le milieu naturel après traitement.
Les contacts que j’avais avec le monde industriel m’ont conduit à proposer la création d’un centre de recherche technique sur la Filtration et les Techniques Séparatives. En 1981 ce projet a été accepté et soutenu par l’État (ministère de l’industrie et de la recherche), la Région, le Département du Lot et Garonne, le district de l’agglomération agenaise, l’Institut polytechnique de Toulouse ainsi que par la profession. Ceci a permis la création et le démarrage de l’IFTS avec dès le départ 15 industriels adhérents, aujourd’hui 60 adhérents.
J’en ai assuré la direction au démarrage jusqu’en 1986 en parallèle avec mes activités de Professeur à Toulouse. Progressivement et au cours de mes postes successifs à l’ENSIGC à l’Université de Toulouse puis à l’Université de Technologie de Compiègne et enfin à l’INSA de Toulouse jusqu’en 2008, ma recherche s’est focalisée sur l’utilisation des membranes, ce milieu filtrant très fin capable de retenir des particules plus petites que le micron, des bactéries, des virus mais aussi d’obtenir une eau potable à partir d’eau de mer en retenant le sel.
Vous êtes le fondateur de l’Institut de la Filtration et des techniques séparatives à Agen ? A quel besoin répondait alors la création de cet équipement ?
L’IFTS a été créé en 1981. A cette époque la France disposait encore d’une industrie même si certains secteurs étaient déjà en crise) : industrie chimique, industrie papetière, textile, métallurgique, agroalimentaires, industries automobile, aéronautique, industrie nucléaire. Dans toutes ces industries la filtration et les techniques séparatives interviennent, Ce sont parfois de tous petits équipements mais qui peuvent jouer un rôle essentiel (c’est le cas par exemple des circuits de commande hydraulique), c’est parfois le cœur du procédé comme dans la fabrication du papier. S’il y avait des ingénieurs dans chacune de ces filières industrielles et des centres techniques spécialisés, il n’y avait pas de spécialistes de la filtration et des techniques séparatives, un domaine qui était pratiquement absent des formations d’ingénieurs et que Guy Denielou, le fondateur de l’université de Technologie de Compiègne qualifiait « d’infra technologie ».
J’ai eu la chance d’être un étudiant de thèse du Prof. Le Goff à Nancy : il avait initié ce secteur de recherche en France et créé une session de formation permanente qui connaissait un énorme succès ! Mon engagement dans cette formation, ce contact avec les ingénieurs qui venaient de toute la France se former à Nancy m’a fait pleinement sentir le besoin d’aller plus loin en créant une structure qui pourrait faciliter le dialogue entre utilisateurs des techniques séparatives et fabricants d’équipement en leur proposant des méthodes et des moyens d’essais, en développant une expertise capable d’apporter un soutien dans la recherche de performance. En France ces fabricants d’équipements étaient pour l’essentiel des PME qui n’avaient pas les moyens d’études et de recherche des gros concurrents étrangers, aux USA, en Allemagne, en Suède par exemple.
Ainsi est né l’IFTS à l’intersection du monde industriel et du monde de la recherche, avec la participation active d’une part des fabricants d’équipement, de produits et de matériaux pour la filtration et la séparation, d’autre part des industries utilisatrices des techniques séparatives : ainsi Veolia (alors Compagnie Générale des Eaux), Total (alors Elf Aquitaine), EDF ont été parmi les premiers adhérents de l’IFTS, aux côtés de Robatel fabricant de décanteuses centrifuges, Gantois fabricant de toiles filtrantes, Gaudfrin fabricant de filtres pour l’industrie sucrière, etc…
Nous allons fêter cette année les 40 ans de l’Institut qui s’est enrichi en 2018 d’un nouveau bâtiment destiné aux essais en conditions réelles, de procédés en développement à l’échelle pilote, d’équipements, de capteurs destinés aux filières de production d’eau potable ou d’épuration ( réutilisation, valorisation ) des eaux usées : le Centre d’essais Roger Ben Aïm. J’y vois un hommage à votre détermination mais aussi au fait que, agenais d’adoption, vous avez fait de ce territoire traversé par la Garonne un lieu emblématique dédié à l’eau et à la recherche. Quelle place Agen a-t-elle à prendre dans le domaine de l’eau ?
L’agglomération d’Agen a sur son territoire non seulement le confluent de Garonne et du Gers mais aussi le fameux pont canal, ouvrage d’art remarquable et symbole de ce canal latéral à la Garonne qui prolongea le canal du Midi et permit une liaison directe Méditerranée/Atlantique. A quelques encablures des limites de l’agglomération, on trouve la centrale nucléaire de Golfech, sa réserve en eau et ses forts besoins en eau (pour le refroidissement) .
Agen est au cœur d’une zone rurale avec un fort développement d’agriculture irriguée. Agen a connu des crues mémorables de la Garonne et du Gers . Agen au cœur du sud-ouest va subir de plein fouet les conséquences du changement climatique. Cette liaison entre eau et énergie a toujours existé. Le changement climatique créé de nouveaux besoins de l’utilisation simultanée de l’eau et de l’énergie. Un exemple typique est l’utilisation des climatiseurs en période estivale (et de plus en plus souvent caniculaire ) : à côté de la pointe hivernale de consommation en énergie pour le chauffage domestique, apparait aujourd’hui une pointe de consommation estivale qui implique des besoins supplémentaires en eau de refroidissement des centrales thermiques alors que simultanément les cultures irriguées (comme le maïs) ont des besoins accrus d’arrosage !
Avec la présence sur l’agglomération agenaise du Cluster Eau & Climat et de l’IFTS, Agen apparait de plus en plus comme un pôle d’expertise capable de rayonner sur l’ensemble de la Région nouvelle Aquitaine et au-delà : le projet actuel Eau et Territoire en cours de montage à l’initiative de l’IFTS est le meilleur exemple de cette capacité d’Agen à coordonner un potentiel régional qui a une place à prendre sur le plan national et européen.
Pourquoi participer à un Forum qui allie les questions d’eau et d’énergie ?
On assiste aujourd’hui à un processus général de décentralisation de la production d’énergie lié au développement des énergies renouvelables : microcentrales, photovoltaïque, éolien. Simultanément le schéma centralisé qui était la règle pour la gestion de l’eau évolue. Il est possible de compléter la collecte des eaux de ruissellement par un traitement qui optimise leur usage. Le développement des techniques permet aujourd’hui d’envisager les eaux usées domestiques et industrielles comme une ressource potentielle plutôt que comme un déchet.
De nombreuses réalisations en France, en Europe dans le monde utilisent déjà ces schémas nouveaux: elles s’inscrivent généralement dans le cadre des objectifs de développement durable, un engagement de l’ONU auquel tous les pays représentés ont souscrit : il s’agit bien d’un engagement qui implique d’atteindre des objectifs. Ces réalisations, ces projets en cours méritent d’être portés à la connaissance des élus, des décideurs à l’échelle des territoires car c’est à ce niveau que se mettent en place ces nouvelles formes de gestion.
Le changement n’est jamais facile : c’est pourquoi ce forum est utile pour s’informer, découvrir, échanger.
Que peut-on en attendre ?
Ce que l’on peut en attendre c’est que les élus et les décideurs à l’échelle des territoires décident de s’emparer de ce thème. Au-delà du forum, les contacts qui auront été pris devraient faciliter cette démarche .
Pouvez-vous nous donner un avant-goût de votre conférence ?
A côté du grand cycle de l’eau (immuable depuis que l’eau est apparue sur terre), se sont mis en place de petits cycles d’utilisation. Le développement industriel, l’urbanisation galopante, le développement de l’agriculture intensive irriguée mettent à mal ces petits cycles et se traduisent par des dégradations de la qualité de la ressource comme par des tensions sur l’accès à l’eau.
Une gestion plus durable à l’échelle des territoires est capable de remédier à cela en s’attachant à développer une meilleure utilisation de l’eau par chacun des acteurs (le citoyen, la collectivité, l’agriculteur, l’industriel) en profitant au mieux des interactions possibles comme avec l’énergie. Des exemples de réalisation et de projets viendront illustrer cette approche.
Interview réalisée par Marianne Rolot le 30/06/2021